Reliance et résilience

Alors que je m’étais lancée dans la lecture de textes en lien avec l’autisme, piquée par la curiosité après avoir corrigé l’article de Rémi, je découvre une revue consacrée au handicap nommée Reliance, et notamment un extrait d’un entretien avec M.Morin, qui développe le sens de ce terme dans le contexte de handicap. Reliance, quel mot étrange. Je connais lien, liant, relier, mais pas reliance. Sa sonorité même m’interroge et me fait penser à “résilience”. Je me lance alors avec plaisir dans la quête du sens de ce terme qui me semble révéler quelque chose que je cherchais sans pouvoir la nommer.

Reliance. En anglais, ça veut dire confiance. Et en français ? C’est un peu plus compliqué. Roger Clausse a été le premier à l’utiliser, peut-être l’a-t-il inventé. Dans Les Nouvelles, il décrit le besoin social d’informations auquel répond la presse :  “Il est besoin psychosocial : de reliance en réponse à l’isolement”. La reliance devient donc synonyme d’appartenance, besoin qui émerge dans une société de masse et d’abondance où nous nous sentons cependant de plus en plus seuls. L’isolement lié à l’incapacité d’établir un contact avec les autres se distingue de la solitude comme l’entend Hannah Arendt dans Responsabilité et Jugement, qui est alors positive :

“Ce vivre-avec-moi est davantage que le conscient [consciousness], davantage que la connaissance directe de moi-même [self-awareness] qui m’accompagne dans tout ce que je fais et dans tout ce que j’affirme être. Être avec moi-même et juger par moi-même s’articulent et s’actualisent dans les modes de pensée, et chaque processus de pensée est une activité au cours de laquelle je me parle de ce qui se trouve me concerner. Le mode d’existence qui est présent dans ce dialogue silencieux, je l'appellerais désormais solitude.”

Une société de division

Aujourd’hui, la société mondialisée délie des liens solidement noués.
Les signes affluent et influencent sensiblement nos décisions. Les moyens de communication véhiculent toujours plus d’informations et nous nous noyons dans ce flux en continu. Les pollutions numériques, sonore, visuelle et environnementale s’accumulent. La hausse du chômage coupe l’Homme du monde du travail, le travail à la chaîne s'enchaîne, empêche de réfléchir, et devient tout autant que l’ouvrier un moyen plutôt qu’une fin. Marx, dès le XIXe siècle, dénonçait la dépossession autant économique que psychologique du travail pour l’ouvrier :

“En quoi consiste l’aliénation du travail ? D’abord dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son essence, mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit.[...] Son travail n’est pas volontaire, mais contraint ; c’est du travail forcé. Il n’est pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. [...] Enfin, le caractère extérieur à l’ouvrier du travail apparaît dans le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas lui-même mais appartient à un autre… L’activité de l’ouvrier n’est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même”. Manuscrits de 1844

L’alimentation ultra-transformée casse le lien à la terre et aux hommes qui travaillent sans cesse pour assouvir nos besoins. Même les réseaux sociaux, censés rassembler et permettre de communiquer avec le monde entier, sont réservés à une élite et poussent les “illectrés”, qui ne parlent pas le langage si particulier des nouvelles technologies, dans ce gouffre où se retrouvent tous les “différents”, les malades, les étrangers, les sans argent, les bobos, bref, les handicapés sociaux. Le temps a d’ailleurs délié ce terme de son sens : dans les tavernes anglaises du XVIe siècle, des joueurs troquaient des objets, et devaient déposer dans un chapeau, hand in cap (= main dans le chapeau), la compensation qui permettait d’égaliser la valeur des parts.
La société du “diviser pour régner” fait donc de nous des êtres fragilisés, esseulés, stressés, malheureux et manifestement épuisés.

Même les sciences sont victimes de cette tendance à la déliance, suivant la méthode de Descartes qui divisait les difficultés en petites parties et qui, une fois celles-ci résolues, considérait que le tout l’était par la même occasion :

“Le sous-système scientifique est marqué par le triomphe de la raison simplifiante ou du paradigme de simplification, pour reprendre l’expression d’Edgar Morin : il tend à produire une connaissance atomisée parcellaire, réductrice, bref, de la déliance intellectuelle” Michel Bolle De Bal.

C’est donc face à cette société déliante que la reliance fait son apparition. Elle serait alors, d’après Michel Maffesoli, cette “étonnante pulsion de l’Homme qui cherche à se rechercher, à s’assembler, à se rendre à l’autre”. Elle est d’ailleurs, tout comme la résilience, à la fois acte et état : on peut tout autant faire la démarche d’aller renouer des liens (acte) que se sentir relié aux autres, à l’Homme, au monde (état). En sciences, la pensée en navettes déjà proposée par Pascal au XVIIe, “je ne peux pas comprendre le tout si je ne connais pas les parties, et je peux pas comprendre les parties si je ne connais pas le tout”, semble souhaitable.

De la résilience et de son lien à la reliance

Relier, retrouver des liens déliés, chercher à comprendre son environnement et à trouver un sens à ce que l’on fait, est en soi déjà reliant : pour Boris Cyrulnik :

“comprendre, c’est avant tout unifier, relier des éléments apparemment disjoints."

Ce neuropsychiatre et éthologue français a, dans les années 90, fortement développé la notion de résilience en France, qui était jusqu’alors plutôt réservée à la métallurgie. Quel rapport alors, entre métaux et neuropsychiatrie ?

Résilience vient de re-salire (“ressaut”), et désignait la capacité intrinsèque d’un métal à recouvrer sa forme initiale après avoir subi un choc. L’image est alors utilisée en psychologie (mais aussi désormais en économie, écologie ou même en bactériologie) pour désigner, selon les termes de Cyrulnik, “l’aptitude des individus et des systèmes (les familles, les groupes et les collectivités) à vaincre l’adversité ou une situation de risque.”

On entend l’adversité comme une situation rude, où le sort s’acharne, où des événement violents et marquants surviennent et s’imposent à nous, impuissants. Pourtant, nous l’avons vu et le vivons très souvent, le simple quotidien peut tout autant nous rendre malheureux.

Comment donc réussir à retrouver une santé et une vie sereines ? Pas de recette miracle encore une fois, mais plutôt des pistes à explorer par soi-même. La formation Cultiver sa Résilience aborde en détails non seulement chaque domaine d’exploration, mais établit également les liens qui secrètement les unissent. D’où la phrase d’Edgar Morin qui précède la page de présentation :

“C’est à cette nouvelle mission impossible que je me crois voué désormais, me sentant toujours branché sur le patrimoine planétaire, animé par la religion de ce qui relie, le rejet de ce qui rejette, une solidarité infinie”

Tiens, ne verrions-nous pas de la reliance dans la résilience ? Très probablement.
Être résilient, c’est réussir à se relier à son corps. C’est lui apporter les nutriments et les aliments qui lui conviennent, qui lui permettent de soutenir son métabolisme pour maintenir une bonne santé. C’est écouter ses signaux, qui se révèlent être de précieux alliés. Le yoga, par exemple, qui signifie littéralement relier, permet ainsi de se connecter à tous les aspects de son être (physique, émotionnel, mental, spirituel et énergétique).

Selon Boris Cyrulnik, “deux autres facteurs de résilience sont très importants : avoir un soutien affectif pour adoucir la souffrance et donner du sens”. La résilience implique donc de se relier à nos proches remplis de bienveillance, les tuteurs de résilience, mais aussi simplement au monde et aux personnes qui nous entourent : en cela, “aller serrer la main de celui qui nous nourrit” prend, effectivement, tout son sens.

On peut aussi faire reliance avec les connaissances, les idées, les prendre avec soi (le préfixe com- vient du cum latin qui signifie “avec”) et les assimiler.

Notons que la reliance va toujours de pair avec la déliance, et que le processus de résilience implique parfois de se délier d’habitudes ou de personnes toxiques qui ne font que nous maintenir dans un état de stress permanent qui nous empêche d’avancer, de demander de l’aide ou d’entamer un changement.

Ainsi, résilience et reliance sont intimement liées, proposées comme alternatives responsables et redonnant aux hommes leur capacité d’agent libre. L’Homme résilient et relié est libéré, joli paradoxe éthique à développer…

“La notion de reliance, inventée par le sociologue Marcel Bolle de Bal, comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n’était conçu qu’adjectivement, et en donnant un caractère actif à ce substantif. «Relié» est passif, «reliant» est participant, «reliance» est activant’, synthétisera E Morin en caractérisant en 2005, ce concept exprimant de façon presque musicale la ‘cellule souche’ de la pensée complexe ‘La pensée complexe est la pensée qui relie. L’éthique complexe est l’éthique de reliance. [...] Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, reconnaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres, de se relier à la Terre-Patrie."

Zélie Bourez

rédactrice
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