La main, l’esprit et l’autisme

La main comme vecteur de l'apprentissage

Friedrich ENGELS, philosophe et théoricien socialiste et communiste allemand, a écrit en 1876  Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme. Dans ce livre, il parle de la main comme rôle moteur de l’évolution. Rien de mieux que de partager son premier paragraphe pour résumer sa théorie : 

« Le travail, disent les économistes, est la source de toute richesse. Il l’est effectivement… conjointement avec la nature, qui lui fournit la matière qu'il transforme en richesse. Mais il est infiniment plus encore. C' est la condition fondamentale première de toute vie humaine. Il l'est à un point tel que, dans un certain sens, il nous faut dire : le travail a créé l'homme lui-même. »

Pour lui, la main n’est pas seulement l’organe du travail, elle en est aussi le produit. Mais elle n’est pas seule. Elle fait partie de tout un organisme extrêmement complexe. Ce qui profite à la main profite au reste du corps tout entier.

Selon Engels, le développement du travail a nécessairement contribué à resserrer les liens entre les membres de la société, en multipliant les cas d’assistance mutuelle, de coopération commune, et en rendant plus claire, chez chaque individu, la conscience de l’utilité de cette coopération. 

L'entraide comme impulsion vers la connaissance

Ses écrits rejoignent ceux de Kropotkine, qui voyait l’entraide et le soutien mutuel comme caractéristiques primordiales de l’évolution, et non la lutte et la survie du plus fort.

Cette place centrale des mains dans notre passé, présent et in fine notre futur, m’a fait penser à l’homonculus. Vous savez, ce petit homme dont la taille de chaque partie du corps est proportionnelle à la surface corticale qui lui est dévolue. Bien qu’il ne soit pas totalement exact, il reste intéressant de noter que les mains occupent une place gigantesque. 

L’utilisation de la main comme outil de travail a amené l’Homme à créer des objets de plus en plus complexes, à échanger avec d’autres personnes... Ce qui a donné l’impulsion à la création de la parole et, en parallèle de tous ces actes, au développement du cerveau et de l’esprit. 

Cet esprit développé agit directement sur les créations réalisées par la main. Il passe même au premier plan et domine. En effet, il a la possibilité de faire exécuter par d’autres mains que les siennes. 

« C’est à l’esprit, au développement et à l’activité du cerveau que fut attribué tout le mérite de la progression rapide de la civilisation. Les hommes s’habituèrent à expliquer leurs actions avec leur pensée, au lieu de l’expliquer par leurs besoins (qui cependant se reflètent assurément dans leur tête, deviennent conscients). C’est ainsi qu’avec le temps, on vit naître cette conception idéaliste du monde qui, surtout depuis le déclin du monde antique, a dominé les esprits. »

Cette domination se reflète dans notre société actuelle. Une profession intellectuelle est généralement beaucoup mieux valorisée et rémunérée qu’un travail manuel.

On réfléchit donc de plus en plus (ou du moins, on tente d’utiliser notre cerveau) et on utilise de moins en moins nos mains. 

La où la main disparait, la violence apparait

En novembre 1975, James W. Prescott, un neuropsychologue, rédige  Le plaisir du corps et l'origine de la violence. Il y affirme que la plus grande menace de la paix mondiale vient des pays qui procurent l'environnement le plus pauvre pour leur enfants et qui sont les plus répressifs en termes d'affection sexuelle et d'expression de la sexualité féminine. 

« La relation réciproque entre le plaisir et la violence est hautement significative, parce que certaines expériences sensorielles de la période de développement de l'enfant vont créer des prédispositions soit pour la poursuite de la violence, soit pour celle du plaisir. 

Je suis convaincu que de nombreux comportements sociaux et émotionnels anormaux résultant de ce que les psychologues appellent la carence "socio-maternelle", c'est-à-dire le manque de soins tendres et amoureux, sont causés par un unique type de carence sensorielle, la carence somatosensorielle. Dérivé du terme grec pour "corps", ce mot renvoie à la sensation de toucher et aux mouvements corporels, par opposition aux perceptions lumineuses, à l'ouïe, au goût et à l’odorat. Je crois que le manque de toucher, contacts et mouvements corporels sont les causes fondamentales des désordres émotionnels incluant les comportements dépressifs et autistiques, l'hyperactivité, les abus sexuels et de drogue, la violence et l’agression. »

Dr. Ray Peat et autisme

En 2018, Ray Peat publie une newsletter, Autism and Causality, dont je vais mentionner plusieurs parties plus bas. Il y stipule que les diagnostics d’autisme ont augmenté d'environ 30 % au cours des deux dernières années aux États-Unis, selon la CDC. Au cours des 75 dernières années, ils ont été multipliés par 50 environ.

En 1938, Léo Kanner pensait que la régression émotionnelle de l’enfant autiste était due à la froideur émotionnelle des parents, en particulier de la mère.

En 1964, Bernard Rimland plaidait pour une cause "biologique". Il suggérait (suite aux observations de Kanner et Asperger) que des parents "intellectuellement supérieurs”, introvertis et très instruits, étaient plus susceptibles d'avoir des enfants autistes, en raison d'une vulnérabilité génétique directement liée à l’intelligence. (Génétique ou manque d’attention ?)

En rapport avec la publication du livre de Rimland, Frances Tustin a écrit :

 "La société américaine nie constamment les causes des dommages causés à des millions d'enfants qui sont ainsi traumatisés et dont le cerveau est endommagé à la suite de traitements cruels par des parents qui sont par ailleurs trop occupés pour aimer et s'occuper de leurs bébés". 

Une étude sur les enfants roumains adoptés a confirmé les observations faites au cours des décennies précédentes, selon lesquelles le traitement impersonnel dans les orphelinats porte préjudice à de nombreux enfants.

À la naissance, le bébé fait l'expérience et s'adapte au toucher, aux odeurs, à la vue et aux sons. Ses besoins sont alors satisfaits ou frustrés. Ashley Montagu, dans Touching : The Human Significance of the Skin, soutient que le contact cutané du nouveau-né avec sa mère est un facteur essentiel dans le développement de l'esprit et du corps. 

"C'est par le contact corporel avec la mère que l'enfant établit son premier contact avec le monde, par lequel il est enveloppé dans une nouvelle dimension de l'expérience, l'expérience du monde de l’autre". 

Pour Peat, « les pratiques médicales courantes qui interfèrent avec le contact cutané immédiat et continu sont connues pour augmenter le risque d'autisme : accouchement par césarienne, utilisation d'anesthésiques, de préparations pour biberons, alimentation par voie intraveineuse.... Dans de nombreux hôpitaux, on sépare même systématiquement les bébés nés à terme de leur mère, sauf pour l’allaitement. »

« Il était autrefois courant pour les médecins de conseiller aux nouvelles mères de ne pas prendre les bébés lorsqu'ils pleuraient. Les puéricultrices ont encore souvent pour instruction de minimiser le contact physique avec eux. L'alimentation au lait maternisé, avec sevrage précoce, a été encouragée par la plupart des médecins et est encore la règle aux États-Unis et dans plusieurs autres pays. 

Plusieurs études ont montré un déclin de l'empathie des étudiants en médecine en troisième année, lorsqu'ils commencent à s'occuper des patients. Le stress, lié à des heures de travail excessivement longues, entre probablement en jeu. Des études sur les étudiants débutants ont montré des niveaux d'empathie beaucoup plus faibles (ou du moins une volonté accrue d'exprimer leur manque d'empathie) que dans les générations précédentes. Quelque chose dans la culture doit donc rendre ce manque d'empathie plus acceptable socialement. Selon de nombreuses définitions acceptées de l'autisme, la profession médicale encourage ce trouble. Même notre culture générale devient de plus en plus autiste. »

La propagande publicitaire sur la consommation d’acides gras polyinsaturés n’aide pas à régler le problème. Chez les animaux, elles favorisent l’état de torpeur et diminuent aussi de manière générale le métabolisme énergétique d’un organisme vivant. Le cerveau est un organe métaboliquement très actif. Diminuer sa capacité énergétique influe donc inévitablement sur la perception du monde du sujet. 

La dépression est associée à une modification du métabolisme énergétique, et ce serait également le cas chez les enfants autistes. Plusieurs études ont confirmé les observations des parents, selon lesquelles une fièvre améliore les symptômes chez les enfants autistes. 

La consommation diverse et variée de produits riches en fibres, crus et indigestes, mais aussi la présence de gommes comme le carraghénane (sigle E407) dans les produits pour bébé attaquent directement le système digestif en développement. Or, son altération peut amener à une production d’endotoxines et une inflammation chronique de bas grade. On a constaté chez les personnes atteintes d'autisme des taux anormalement élevés de molécules pro-inflammatoires, notamment celles dérivées des acides gras polyinsaturés. 

Le langage comme lien entre les êtres humains 

L’usage de la main est sûrement apparu en même temps que celui du langage.

Ils ont un point commun primordial : la communication. Verbale ou non-verbale, elle crée une relation véritable entre deux sujets doués de raison, et permet en cette occasion d’affirmer la prise en considération de l’Homme et de sa personnalité.

Tout d’abord, attardons-nous sur le langage. Institution universelle et spécifique de l’humanité, il nous distingue non seulement de l’animalité mais affirme notre individualité. Par la parole, l’Homme dresse un tableau des faits qui, bien qu’appartenant à une réalité, sont subjectifs, puisqu’exprimés par un sujet.

Charles W.Morris, dans sa Foundation of the Theory of Signs distingue les trois aspects du langage que sont la syntaxe, la sémantique et le pragmatique. Chaque énoncé n’a de sens que s’il est ancré dans un contexte donné.

Jouer avec cet ensemble de signes bien distingués permet d’exprimer, quand on sait le manier, la totalité de ses pensées. Réduire le langage à sa plus grande simplicité peut alors symboliser la vacuité et la perte de sens de l’existence. Ionesco en fait d’ailleurs la preuve dans son œuvre La Cantatrice Chauve. Répétitions, non-sens, expressions pleines d’absurdité, ce texte est écrit pour nous perturber et nous questionner.

La main, quant à elle, prend le relais quand les mots font défaut : braille pour les aveugles, langue des signes pour les sourds et malentendants… Des langages quasi sans sons qui, cependant, ouvrent les portes de la communication.

Prendre et serrer la main sont d’ailleurs deux gestes communs qui se dispensent de paroles pour partager des émotions.

Langage et gestuelle sont donc subtils et compliqués, et deviennent parfois totalement abstraits pour des personnes touchées par les troubles du spectre autistique. (TSA). Leur incapacité à utiliser les compétences linguistiques afin d’interagir et établir une complicité explique leur difficultés à intégrer chaque groupe de la société.

Si vous le souhaitez, la série On the Spectrum permet de se plonger dans la vie de 4 autistes attachants, mais aussi de se rendre compte à quel point ces troubles sont handicapants.

La dépression est associée à une modification du métabolisme énergétique, et ce serait également le cas chez les enfants autistes. Plusieurs études ont confirmé les observations des parents, selon lesquelles une fièvre améliore les symptômes chez les enfants autistes. 

Les pistes explorées pour trouver une explication sont diverses et variées : génétique ou épigénétique, accouchement prématuré ou infection postnatale, perturbateurs endocriniens ou problèmes thyroïdiens...

L’hypothèse suggérée par Bettelheim en 1967 concernant les “mères-réfrigérateurs” a depuis été rejetée. Pour lui, les mères déficitaires d’amour maternel sont à l’origine de ces troubles comportementaux. Léo Kanner, inventeur de ce surnom très peu flatteur, avait cependant, 20 ans auparavant mentionné dans sa définition de l’autisme la notion d’inné,  qui signifie, en opposition à l’acquis, ce qu’on a dès que l’on naît.

Les parents, et la mère plus particulièrement, ont évidemment un rôle à jouer dans le développement de leur enfant. Donald Winnicott utilise le terme de “mère suffisamment bonne” (good enough mother) et donne dans son livre L’enfant et sa famille des conseils pour trouver l’équilibre entre éloignement et proximité pour que l’enfant n’ait pas de difficultés à se développer.

En 1980, l’OMS a tranché et a défini l’autisme comme un trouble neurodéveloppemental affectant les fonctions cérébrales et non comme un trouble psychologique. 

La théorie de Bettelheim a très longtemps été enseignée et, en plus d’avoir séparé des parents de leurs enfants prétendument maltraités, pourrait être ce qui explique la prise en charge éducative non adaptée en France. 

Considérés comme des malades mentaux sans traitement, la solution pratique était de les envoyer dans des hôpitaux psychiatriques afin de cacher à la société ces êtres déficients. Déficients ou juste différents ? L’isolement en camisole de force n’aura pour effet que d’esseuler des personnes déjà affectivement diminuées et les éloigner ne les aidera pas à progresser. L’autisme met ainsi en lumière la fâcheuse tendance qu’a la société de rejeter toute personne qui sortirait du cadre de la normalité.

Les enfants pris en charge à temps peuvent s’améliorer si on leur fournit des outils pour communiquer et s’intégrer. 

Créer du lien, comme le rappelle Edgar Morin, développe “nos reliances avec autrui et cette reliance que nous développons stimule et régénère nos possibilités de reliance”. Alors, tendons-leur la main.

Rémi Masson

co-fondateur du projet résilience

Zélie Bourez

Rédactrice
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