Dans notre précédent article, nous avons pu vous exposer toutes les facettes bénéfiques théoriques de l’imagination, qui ne devrait pas être réduite à une activité fantasmagorique du cerveau. Soyons cependant clairs : vous pouvez avoir toutes les facultés d’imagination et de créativité possibles, si vous ne les transformez pas en actes, toutes ces idées qui vous seront venues n’auront pas pu exprimer leur plein potentiel.
L’article du jour a donc pour but de vous offrir un point de vue plus pratique de l’imagination et de la créativité, et de vous guider pour réussir à opérer ces changements. Vaste programme !
Prenons pour commencer l’image de la caisse, empruntée à Dupréel dans sa Théorie de la Consolidation :
“S’agit-il de faire une caisse, pendant quelques instants, ce sont les mains de l’ouvrier qui retiennent l’une contre l’autre les planches qu’il va réunir par des clous. Ceux-ci étant enfoncés, la caisse “tient toute seule”
Cette métaphore s’applique quasi parfaitement à l’idée du changement par l’imagination et la créativité : nous sommes l’ouvrier, les planches sont nos idées de l’avenir ou de notre mode de vie, les clous sont les actes que nous devons faire pour, au final, obtenir une caisse, soit le mode de vie ou de pensée que nous avions imaginé.
Servons-nous de cette image pour développer notre idée : pour faire tenir les planches, l’ouvrier doit pouvoir s’arrêter de bouger, ou en tout cas se consacrer tout entier à cette tâche. De même, l’imagination créative demande du temps de cerveau disponible.
Il ne suffit pas de vouloir imaginer pour pouvoir le faire. Nous pourrions même dire, comme lorsqu’il s’agit de nos dispositions physiologiques, quand on peut imaginer, on le veut, ou même, on ne le décide pas ! La plupart du temps, des images ou idées nous viennent sans que nous le décidions.
Bachelard, lors d’un entretien avec Jean Lescure sur la RTF (la radiodiffusion-télévision française, ancêtre de l’ORTF) disait :
“J’ai toujours eu deux métiers : quand je me trouve devant les livres scientifiques, que je veux continuer, je ne veux pas rêver. Par conséquent, il faut qu’un poète, comme ça, vienne sur ma table, et dise : “oh, quelle belle image !”, j’oublie mon travail, et puis me voilà parti à aimer l’image”
Maintenant que nous sommes entièrement dédiés à la fabrication de la caisse, il faut des planches. Nous avons besoin d’idées, et ces dernières ne se créent pas toutes seules ! Elles s’appuient sur votre quotidien, mais aussi vos savoirs, vos lectures, les vidéos que vous regardez…
L’imagination a ainsi une forte affiliation avec l’empirisme, d’une part parce que toutes les idées qui nous viennent ne peuvent, en tout cas dans un premier temps, être expliquées de manière rationnelle et logique.
D’autre part, parce qu’elle se base sur nos expériences ! John Locke, auteur du texte “canonique” de l’empirisme, Essai philosophique concernant l’entendement humain, utilisait lui aussi les matériaux pour illustrer son idée :
“Comment l’âme en vient-elle à recevoir des idées ? [...] D’où puise-t-elle les matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela, je réponds d’un mot, de l’expérience.”
Steve Jobs, pour sa part, affirmait :
"La créativité, c’est simplement établir des connexions entre les choses. Quand vous demandez aux personnes créatives comment elles ont réalisé telle ou telle chose, elles se sentent un peu coupables parce qu’elles ne l’ont pas vraiment réalisé, elles ont juste vu quelque chose. Cela leur a sauté aux yeux, tout simplement parce qu’elles sont capables de faire le lien entre les différentes expériences qu’elles ont eu et de synthétiser les nouvelles choses.”
Vous pourriez ici nous objecter que Locke parle des raisonnements, alors que Steve Jobs évoque très probablement des réalisations plus spontanées, artistiques, des idées ou images qui surviennent sans raison. Pourtant les deux ne sont pas totalement dissociés.
Bachelard, pour le citer de nouveau, considérait que la rêverie et la raison sont les deux expressions les plus abouties de ce que notre esprit peut produire pour lutter contre l’inertie, contre la vie commune, usuelle. Elles nous permettent d’explorer d’autres dimensions de l’esprit.
Poursuivons.
Peut-on façonner nos idées ? Disposons-nous de scies mentales pour découper nos planches ? Très sûrement !
Foucault et Kant seront nos alliés pour orienter notre imagination et notre créativité, afin d’arriver à penser de meilleures solutions sans pour autant nous créer un monde inatteignable.
Pour commencer, il est nécessaire de partir du réel, de notre quotidien, et de réfléchir à la question que nous posait Foucault :
Quel est le problème ?
Pour retourner dans des exemples plus concrets, nous pouvons chercher les problèmes dans l’alimentation, le travail, les relations personnelles, l’activité sportive, la digestion, le sommeil, le stress…
Il est ensuite nécessaire de dépasser cette étape grâce à une deuxième question :
Quel est le champ actuel des expériences possibles ?
C’est alors que Kant intervient, puisque sa philosophie était guidée par trois questions qui, il me semble, pourraient s’apparenter à des sous-parties de la question précédente :
- Que puis-je connaître ?
- Que dois-je faire ?
- Que m’est-il permis d’espérer ?
Faire une liste peut vous être d’un grande aide, ou même un tableau, pour distinguer à quel type de changement correspond chaque problème.
Luc de Brabandère affirme que changer, c’est changer deux fois : on change sa perception, et/ou on change la réalité. Ainsi,
“innover c'est changer les choses. Être créatif c'est changer la manière de voir les choses. Innover c'est faire du neuf dans le système. Être créatif - le verbe créativer n'existe pas, ce n'est pas un hasard - être créatif c'est penser un système neuf.”
Vous pouvez donc choisir de changer votre “mindset”, ou votre quotidien, réel ! Prenons l’exemple du stress : vous pouvez tenter de réduire les sources de stress extérieurs, ou apprendre à mieux gérer le stress intérieurement !
C’est ici qu’apparaîtront probablement les inégalités que nous avions abordées dans le premier article : selon notre propre contexte, notre passé et notre situation sociale actuelle, nos “permissions d’espérer” seront plus ou moins restreintes. Ce n’est peut-être pas un hasard si les hormones liées au stress ont pour moyen mnémotechnique “CHANGE PAS”...
Bachelard parlait ainsi d’imagination poétique (du poíêsis grec, fabriquer, créer) : elle nous ouvre vers une vie nouvelle, remplie de possibilités irréelles, et ne tient qu’à nous de choisir celles que nous souhaitons accomplir dans le réel.
La notion même d’espoir a aujourd’hui un aspect absurde, surtout après la période de crise mondiale sanitaire que nous avons vécue, et face aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux à venir. Les jeunes générations de l‘époque actuelle ont par exemple beaucoup moins d’ambition et d’espoir quant à l’avenir que les jeunes du siècle dernier.
Pourtant, l’espérance, signe d’un certain optimisme est essentielle :
C’est l’espérance courageuse de la lutte initiale : elle nécessite de restaurer une conception, une vision du monde, un savoir articulé, une éthique. Elle doit animer, non seulement un projet, mais une résistance préliminaire contre les forces gigantesques de barbarie qui se déchaînent” Edgar Morin
Maintenant que vous avez découpé vos planches et que vous avez délimité un temps pour pouvoir les tenir, il faut des clous. Sans clous, pas de caisse.
Et, nous en sommes conscients, trouver les clous avec la bonne forme n’est pas toujours facile. En d’autres termes, trouver des actions accessibles à notre contexte, mais aussi trouver la force de les réaliser, est sûrement la chose la plus difficile dans ce processus.
De fait, nous pouvons parfois nous trouver submergés par l’ampleur des changements à effectuer, et cette peur nous paralyse et, finalement, nous bloque dans l’inaction. Pire, on regarde les autres, on se projette dans leur vie, on les voit réussir comme si tout était simple, et nous culpabilisons de ne pas aller assez vite, assez bien, assez fort, assez tout.
N’oubliez pas, encore une fois, que chaque personne a ses points forts, ses points faibles, son histoire et ses potentialités : si se comparer aux autres n’a sur vous qu’un effet négatif, stoppez ce cercle vicieux, et concentrez-vous sur vous.
Est-ce égoïste, égocentrique ? Pas du tout ! C’est simplement comprendre que nous avons de la valeur, et que nos actes, aussi petits soient-ils, en ont également.
De plus, n’oublions pas que nous vivons en société, avec d’autres personnes, et les changements que vous effectuez auront très probablement un impact positif, même indirect, sur d’autres personnes.
Vous pourriez même servir d’exemple !
Ce processus ne se fera pas du jour au lendemain, mais une chose assez simple et régulièrement conseillée est de fragmenter les tâches qui vous semblent essentielles afin d’arriver à rendre réel cet avenir imaginaire qui est dans votre tête.
Prenons un exemple plus concret : dans votre monde idéal, vous ne mangeriez que des aliments locaux et en direct producteur, sans plus jamais aller au supermarché. Pourtant, dans le monde actuel, il n’en est encore rien. Devez-vous changer votre alimentation du tout au tout ? Bien sûr que non !
Commencez par vous renseigner, de chez vous, sur les points de vente près de chez vous qui pourraient distribuer des produits locaux, ou même sur les horaires des marchés. Vous ne pouvez pas vous déplacer jusqu’à ces endroits ? Avez-vous pensé à La Ruche qui dit Oui ? Pas de disponibilité non plus ?
Aucun problème ! Les magasins biologiques comme Biocoop ou La Vie Claire proposent généralement des produits en circuits courts. Biocoop propose même désormais un service click and collect qui vous permet de retirer vos courses lorsque vous êtes disponible.
Et si ce n’est pas possible, et bien peut-être que ça le sera bientôt ! En attendant, vous pouvez déjà, par exemple, tenter de réduire les produits importés que vous consommez (remplacer le riz basmati par du riz de Camargue, prêter attention à l’origine de la viande…).
Il y a toujours quelque chose à faire, toujours une solution. L’imagination a d’ailleurs cet avantage de nous permettre de nous projeter sans nous engager totalement, dans un premier temps au moins, de pouvoir soupeser tous les enjeux, et envisager tous les cas de figure possibles.
Rien ne nous empêche de viser très haut, et de revoir à la baisse nos ambitions si nous avons été trop gourmands ! Dans tous les cas (à part si régression il y a), vous aurez tout de même pu faire un pas vers votre objectif. N’oublions pas que des idées qui paraissaient totalement folles à certaines époques, comme l’abolition de l’esclavage, de droit de vote des femmes ou encore la démocratie sont devenues réalité.
« Une carte de l’univers qui ne contient pas l’utopie ne mérite pas un seul coup d'œil, car elle omet l’unique terre que l’humanité redécouvre toujours et quand l’humanité la découvre, elle porte ailleurs ses regards et voit une terre encore meilleure et appareille à nouveau. Le progrès, c’est l’utopie réalisée. » — Oscar Wilde