Riche en fibres, pauvre en résultats

La consommation de fibres est fortement liée à l’index glycémique : elles le réduisent via un ralentissement de l’absorption intestinale. L’instauration des fibres et de l’index glycémique sont très proches dans le temps.

Selon le site de la sécurité sociale, elles aident à réguler la glycémie en agissant sur la vitesse d’absorption des glucides contenus dans les féculents. Les glucides étant absorbés peu à peu, le taux de sucre dans le sang va lui aussi s’élever plus lentement. Il est donc utile de les associer aux glucides. Pour cette raison, il est recommandé d’en consommer à chaque repas.

Histoire des fibres

La littérature scientifique sur les fibres existe depuis 180 ans. Toutefois, c’est à la fin des années 50 qu’un chirurgien, le Capitaine T. L. Peter Cleave, témoigne de l’impact du raffinage du sucre et de la farine sur les maladies. Bien qu’il soit considéré par certains comme à l’origine de la “fiber hypothesis”, il voyait surtout comme problème fondamental le sucre. Ses écrits n’en restent pas moins influents, car ils ont inspiré le travail d’Alec Walker, un chimiste émigré en Afrique du Sud qui montra notamment que le transit est 2 à 3 fois plus rapide chez les peuples sud-africains que chez leurs homologues caucasiens. Ils pouvaient aller aux toilettes 2 à 3 fois par jour, et déféquer “sur commande” dans les dix minutes suivantes. Le cancer de l'intestin est rarement observé dans la population noire. Il imputa ce résultat à différentes causes telles que l'activité physique, la tabagisme, le niveau de stress mais aussi à la consommation de fibres.

Ces deux hommes, et bien d’autres (Trowell, Painter, Campbell), ont été en contact avec celui qu’on nomme désormais The Fiber Man, Denis Burkitt. Il a travaillé en Afrique en tant que chirurgien pendant 20 ans et a acquis une réputation mondiale à la suite de sa description d'un lymphome, principalement de la mâchoire, qui se manifestait avec des conséquences mortelles chez les jeunes enfants. On lui donna le nom du lymphome de Burkitt en 1963. Puis, grâce à ses recherches et surtout ses rencontres, il établit un lien de causalité entre la consommation de fibres et l’incidence du cancer du côlon. En 1970, il rédige un article et écrit que, lorsque des maladies se produisent ensemble géographiquement, il est probable qu'elles aient une cause commune. Pour les "maladies intestinales non infectieuses", il évoque très clairement le rôle de la carence en fibres comme cause, ses effets résultant sur le temps de transit, les pressions intraluminales et les bactéries. En ce qui concerne le diabète, l'obésité et l'athérosclérose, il admet que la consommation excessive de sucre, due à la suppression des fibres dans le régime alimentaire, peut également être importante.

En 1971, Burkitt participe à la Conférence nationale sur le cancer à San Diego, en Californie, où il discute des maladies intestinales et le rôle des fibres. Sa présentation prend la forme d'un article pour la revue Cancer. L'article commence par des données sur l'épidémiologie du cancer du côlon. Il évoque ensuite l'alimentation comme une cause possible et donne les résultats de ses études sur le transit et les intestins, dont il conclut : "Il existe une corrélation claire entre le temps de transit intestinal, le volume des selles et la teneur en fibres des aliments". Il évoque les mécanismes possibles, notamment les effets sur les acides biliaires et les bactéries dans l'intestin, et "... suggère que l'élimination des fibres alimentaires peut être un facteur causal". Il s'agit d'un article emblématique de l'histoire des fibres. Il est devenu un classique et est l'article de Burkitt le plus cité.

Ce qui peut sembler paradoxal, c’est qu’il ressort clairement des écrits de Burkitt une incompréhension de ce qu’est une fibre. Dans son article paru dans le Lancet en 1970, il utilise le terme "fibres", mais aussi "fourrage grossier", "régime à haute teneur en résidus", "fibres cellulaires non absorbables", "fibres indigestibles/non absorbables". Ce n’est qu’en 1972 qu’une définition plus ou moins précise est donnée par un de ses confrères, Trowell.

Instauration des fibres dans les recommandations

Les effets bénéfiques reconnus des fibres seraient le résultat, en majorité, d’une accélération du transit. Cela confirme les découvertes du prix Nobel de physiologie ou de médecine de 1908, Elie Metchnikoff, qui pensait qu’une des causes du vieillissement était un transit lent et un stockage, sur une longue période, de matières fécales.

Dans les années qui ont suivi, notamment via les Dietary Goals for the United States de 1977, l'intérêt d'inclure des "glucides complexes" dans l'alimentation, avec l’affirmation que les féculents étaient absorbés plus lentement que les sucres et qu'ils devaient donc moins perturber la glycémie et les taux d'insuline a pris de l’ampleur. Les recommandations étaient de manger des céréales complètes et des légumineuses, et d'éviter les jus de fruits. Or, si on s’en tient simplement à l’index glycémique, ceux du jus de raisin (50) et du jus de pomme (50), par exemple, sont inférieurs à celui du pain complet (65).

Pourquoi alors favoriser la consommation de produits céréaliers ?

En fait, la recherche était presque exclusivement tournée vers les céréales : les pommes de terre étaient mises de côté. C’est Denis Burkitt et ses collègues, qui, en 1977, ont effectué une étude pour montrer les effets bénéfiques de leur consommation.

L’exclusivité scientifique peut s'expliquer par l’influence de l’empire des céréales du petit déjeuner, General Mills. En faisant mes recherches, je suis tombé sur un papier vantant les vertus des céréales du petit déjeuner avec l’estampille de ce géant. L’auteur, G. A. Leveille, a rédigé plusieurs études, et, étonnamment, il semble adorer ces produits : dans un autre article, il recommande les céréales prêtes à consommer du petit déjeuner pour leur teneur plus élevée en seize nutriments par rapport au petit-déjeuner moyen qui n’en contenait pas (lien). Il a également promu l’utilisation de Salatrim, un additif alimentaire accepté comme substitut de graisse à teneur réduite en calories, commercialisé cette fois-ci par Nabisco, une compagnie spécialisée dans l'élaboration de biscuits, chocolats et autres types de friandises (lien). Qu’on soit bien clair, des études financées par une industrie ne signifient pas qu’elles soient fausses de bout en bout, mais la relation entre les résultats et les intérêts reste troublante.  

En réalité, les liens peuvent même remonter d’encore plus loin. Dans un rapport au Sénat en 1958, Hubert Humphrey pose les jalons d’une diplomatie alimentaire censée permettre aux États-Unis de prendre le dessus sur l’URSS. Les premiers mots de ce document sont éloquents : « L’abondance de nourriture et de fibres est un formidable atout pour l’Amérique dans la lutte mondiale pour la paix et la liberté. Un atout qui attend toujours d’être pleinement utilisé avec audace et compassion […] Une percée dans la conquête de la faim pourrait être plus pertinente dans la guerre froide que la conquête de l’espace […] Le pain, et non les armes, peut très bien décider de l’avenir de l’humanité ». Rappelons aussi que le plan Marshall, au lieu d’être une aide inconsidérée de nos amis américains, est, en réalité, un acte déterminant dans la pérennité de leur économie.

Faire confiance à la science ?

Toutes ces associations, plus ou moins discutables, doivent-elles remettre en question toutes les découvertes scientifiques sur les fibres ?

Pas du tout. La recommandation de l’ANSES de 30 gr/jour de fibres est facilement atteignable dans un régime sain, sans avoir à consommer de produits complets.

Quel est le critère déterminant ?

L’apport énergétique. En admettons que 30 gr de fibres par jour soit la quantité idéale, l’apport calorique d’une personne détermine ses choix alimentaires. En effet, plus on consomme de calories, plus on consomme de fibres. Pour avoir, mon entourage et moi-même, comptabilisé nos apports en fibres, 30 gr apparaît être le minimum. Un ami a essayé d’en consommer le moins possible tout en essayant de manger “sainement”. Le résultat : impossible d’être en-dessous de 15 gr, ce qui est déjà pas mal !

Ainsi, entre 2000 et 3000 kcal/jour, il semble facile d’atteindre son quota de fibres. Pour en avoir la certitude, utiliser une appli comme Cronometer est une bonne option, c’est très simple de les calculer.

Pourquoi manger des fibres ?

Si les effets favorables des fibres sont majoritairement dus à leurs implications sur le transit, alors tout ce qui l’accélère s’en trouvera être bénéfique. Dans cette optique, prendre soin de son métabolisme semble être un conseil raisonnable. L’hypothyroïdie est associée à la constipation et à la prolifération bactérienne. Il est estimé que la constipation touche entre 16 et 27% des américains (lien, lien), et que les femmes ont trois fois plus de chances d’en être victime (lien).

Sérotonine et fibres

L'ulcère stercoral est un ulcère du côlon dû à la pression et à l'irritation résultant d'une constipation sévère et prolongée. En 1965, Hans Selye découvre qu'une dystrophie musculaire peut être provoquée chez les rats par l'injection sous-cutanée de sérotonine après ligature de l'aorte abdominale. Au cours des ses travaux ultérieurs sur cette technique, il constate qu'environ 50 à 80% des animaux développent des ulcères nécrosants dans la muqueuse du rectum ou du sigmoïde en contact avec des masses fécales dures. Avec cette découverte, il entreprend, un an plus tard, de décrire ces lésions qui présentent les caractéristiques des ulcères stercoraux et en même temps de montrer que leur développement peut être prévenu par la cyproheptadine, un antagoniste de la sérotonine. Pour cela, il établit différentes expériences sur des animaux, dans lesquelles il montre qu'une perturbation de la circulation sanguine, qui ne produit normalement aucun dommages graves, provoque des ulcères, ainsi qu'une paralysie des pattes arrières, s'il injecte de la sérotonine. Si la cyproheptadine est administrée à l'animal avant l’injection de sérotonine, il est protégé. Le développement des ulcères a nécessité la combinaison d'une circulation sanguine restreinte, d'un excès de sérotonine et de la présence de matières fécales dans l'intestin inférieur. Sans la sérotonine, les deux autres facteurs n'ont pas permis de produire les ulcères. (lien)

Les acides gras à chaînes courtes produits lors de la fermentation des bactéries régulent l’expression de l’enzyme tryptophan-5-hydroxylase 1, qui synthétise la sérotonine (lien). La production de lactate des bactéries par la fermentation intestinale est associée à l'anxiété et l'agression chez les rats (lien, 2003 et 2004). Les endotoxines bactériennes stimulent la libération de sérotonine chez les animaux (lien). La cyproheptadine, un antagoniste de la sérotonine, inhibe la sécrétion de cortisol induite par l'hypoglycémie (lien). La synthèse de sérotonine augmente durant le jeûne, supprime l'absorption du glucose dans le foie et les auteurs suggèrent que “…l'inhibition de la synthèse de sérotonine dérivée de l’intestin améliore l'hyperglycémie dans le diabète de type 2” (lien).

Doit-on manger des fibres ?

La distinction entre les types de fibres

Par rapport à ce que l’on vient de dire, les fibres qui fermentent et nourrissent trop les bactéries seraient à éviter (lien); Les fibres indigestes retrouvées dans la carotte sont une très bonne option pour lutter contre certaines contrariétés intestinales. La cellulose est assez difficile à dégrader par les bactéries et jouerait le rôle de ballast, stimulant le transit.

Nos conseils

Tout d’abord, si vous consommez quotidiennement 1200 kcal/jour (à titre d’exemple pour une personne adulte) pour maintenir votre poids, cherchez la raison d’un si faible apport et tentez de le résoudre. Comme mentionné ci-dessus, consommer plus de calories équivaut à consommer plus de fibres. Dans ce cas, les aliments complets ne devraient pas être obligatoirement recherchés.

Ensuite, si vous souhaitez en consommer, nous pensons qu’ils restent relativement sans danger à partir du moment où vous les tolérez. Autrement dit, si après la consommation de pain complet, de pâtes complètes, de riz complet, de légumineuses etc., vous expérimentez de fort ballonnements, des flatulences importantes, des désagréments nombreux et handicapants, le passage à des produits raffinés peut être une bonne option. Rappelez-vous que même le meilleur superfood ne l’est pas si vous ne le tolérez pas.

Rémi Masson

co-fondateur du projet résilience
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