Prendre son temps : la nouvelle méthode miracle ?

Introduction

“Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande, et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus”

Voici ce que déclare Saint-Augustin dans ses Confessions. De fait, définir le temps est une tâche bien ardue. Nous savons qu’il y a le passé, le présent, et le futur, que ce qui est passé n’est plus, que ce qui est futur n’est pas encore, et que le présent s’écoule irrémédiablement.

La physique classique, la mécanique quantique et la relativité considéraient le temps comme réversible. Pour Einstein, la durée ne relève pas du domaine de la physique, mais de celui de la subjectivité : une vision déterministe où le temps n'est pas orienté dans le sens passé/futur.

Ou bien le temps est une illusion, comme le pensait Einstein, ou bien il faut réviser les lois de la physique…

Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie (1977) osa penser à cette dernière solution radicale. Ses recherches ont successivement porté sur deux domaines, le premier étant la thermodynamique du non-équilibre. La conclusion essentielle était que la flèche du temps avait un rôle constructif. Le non-équilibre pouvait jouer un rôle organisateur. C’est-à-dire que l'irréversibilité pouvait conduire à des structures spatio-temporelles.

Il était significatif aussi qu'un élément aléatoire, probabiliste, s’y introduise. C'est tout cela qui conduit à l'idée de structures dissipatives, à l'auto-organisation.

« Ce sont ces éléments nouveaux qui m'ont donné le courage d'envisager la possibilité d'une extension des lois fondamentales de la physique. »

Le temps a-t-il une origine -- le big-bang -- et peut-être une fin ? Ou, au contraire, le temps est éternel et le bigbang un simple épisode correspondant à une instabilité de l'espace-temps ? Ces questions donnent le vertige mais rassurez-vous, nous n’allons pas les aborder. D’ailleurs, nous n’avons pas les capacités nécessaires pour en discuter sérieusement, du moins pour l’instant.

En attendant, accordons-nous sur un fait. Le temps s’écoule toujours de la même manière : une seconde reste une seconde, tout comme une heure reste une heure. On le calcule très simplement à l’aide de la formule mathématique suivante : t = d/v. Ceci est le temps que nous affichent nos montres et autres horloges numériques.

Pourtant, nous ne percevons pas le temps de la même manière. Selon notre état d’esprit, l’activité que nous sommes en train de faire, notre âge… Le temps paraîtra plus ou moins long.

En l'occurrence, surtout dans la société actuelle, le temps nous paraît toujours trop court. Nous nous couchons le soir, plus par épuisement que par réelle volonté d’obtenir nos sept ou huit heures de sommeil conseillées. En tête ? La “to do list” du lendemain, le scénario idéal qui nous permettra, en fin de journée, de cocher toutes les cases aux tâches déterminées.

Cependant, ce scénario idéal se termine souvent en scénario catastrophe, et les cases vides deviennent les petits témoins de notre échec à accomplir nos devoirs. Mais comment se fait-il que le temps passe si vite ? Pourquoi perdons-nous du temps ? Doit-on ralentir ? C’est ce que nous allons voir.

Pourquoi avons-nous l’impression que le temps passe trop vite ?  

Si nous souhaitons trouver pourquoi nous ressentons une certaine accélération du temps subjectif, demandons tout d’abord comment nous ressentons que le temps passe, tout simplement.

Adrian Bejan, professeur en génie mécanique, nous offre une réponse : il déclare que « l’esprit humain sent que le temps change lorsque les images perçues changent », c’est à dire que « le présent est différent du passé parce que la vision mentale a changé, pas parce que l’horloge de quelqu’un change »

C’est d’ailleurs sur cette base du sentiment de changement qui s’opère autour de soi, de changement du monde et de la nature, que nos ancêtres réussissaient à se repérer dans le temps : et oui, à l’époque, sans montre ni smartphone, c’était le rythme naturel du soleil et des saisons qui les guidait.

Maintenant, comment se fait-il que nous ressentions cette pression du temps qui s’écoule toujours plus vite, ou, du moins, qui nous semble passer plus vite ?

Adrian Bejan opte pour une réponse neurobiologique :

« la vitesse à laquelle on perçoit des changements dans les images mentales diminue avec l’âge ».

Donc, plus notre cerveau vieillit, plus les réseaux de neurones se détériorent (entraînant une résistance accrue au flux de signaux électriques), moins les informations contextuelles sont traitées hâtivement, et plus le temps semble défiler à vitesse grand V.

A l’inverse, pour les enfants, dont le cerveau traite plus efficacement les nouvelles perceptions, le temps paraît plus long… Mais ce, sur un même laps de temps donné ! C’est un exemple démontrant comment le métabolisme serait à la fois lié au temps et au processus de vieillissement.

Il est possible d’expliquer l’observation « le temps passe plus vite lorsque l'on vieillit » plus simplement : le temps est relatif à notre longévité.

Parce qu'une année à 30 ans représente 1/30 de notre vie, une journée représente alors 1/10950 de notre vie. Alors qu'un enfant de 3 ans verra sa dernière année comme étant le 1/3 de sa vie; et une journée comme étant le 1/1095 de sa vie. Logique non ?

La réponse se trouverait donc à l’intérieur de nous… Mais existe-t-il d'autres explications ? Comme toujours, il est probable que plusieurs causes soient imbriquées dans ce nouveau problème de société. L’accélération des échanges pourrait également avoir sa part de responsabilité.

De fait, quand nous disons “aujourd’hui, tout va plus vite”, nous ne parlons pas du temps, mais bien des événements qui rythment notre journée, et découpent en petits moments notre temps vécu. Le modèle capitaliste de notre société est profondément basé sur la vitesse : pour être rentable, les firmes doivent nous faire consommer, et ce, toujours plus vite !

TGV, RER, messagerie instantanée, speed dating, fast food… Tout est fait pour que nous ayons accès plus rapidement à nos objets de désir, afin que nous n’ayons même pas à nous poser la question de la réelle nécessité ou non de ces choses. Pensons à Amazon, qui a développé un logiciel permettant d’envoyer une commande avant que le client ne l’ait finalisée ni même recherchée !

À lire ces deux premières ébauches d’explication, vous pourriez être quelque peu désarçonnés : finalement, nous sommes victimes, et du cours du temps, et de la société de consommation.

Ne vous méprenez pas : nous avons aussi un rôle dans ce processus d’accélération.

Prenons un tout autre point de vue : si nous avons l’impression que le temps passe plus vite, et que nous tentons coûte que coûte de grappiller une minute çà et là, c’est que nos journées sont généralement très remplies. Au travail, évidemment, mais aussi hors du travail, nous cherchons toujours à nous occuper, à sortir, à aller voir un film, à nous divertir.  

Ce fait, selon Pascal, n’est absolument pas anodin : nous tentons de remplir un genre de vide, dans lequel pourraient s’immiscer des questions bien plus profondes que celles de choisir quelle série nous allons regarder le soir, ou quel vêtement pourrait s’accorder avec le pantalon droit que nous venons d’acheter. Nous ne pouvons pas être en repos sans être pris d’angoisse.

“Le repos est une métaphore du rapport à soi, de la capacité de l’être humain à se regarder lui-même sans diversion, sans obstacle, dans la plus grande transparence. Cette vue serait insupportable, c’est la raison pour laquelle tout ce qui nous en détourne vaut la peine d’être pratiqué” — Pierre Guenanci

Il pourrait y avoir une autre explication, qui rejoint en quelque sorte cette idée : nous remplissons notre quotidien d’activités qui nous font miroiter un bonheur factuel, un bonheur atteint grâce à l’assouvissement de tous nos désirs, mais qui, au final, n’amène que de la frustration, et le besoin d’acquérir toujours plus de choses : c’est le tapis roulant hédonique.

Sénèque offre ce conseil à Lucilius :

« Ne te paie jamais d’une telle excuse [le fameux “je n’ai pas le temps”]. J’ai du loisir, et en a qui veut. Les affaires ne nous cherchent pas ; c’est nous qui nous y jetons à corps perdu, dans la pensée que le tracas des occupations est la preuve sensible du bonheur. »

Cette explication est évidemment valable pour ceux qui ont le temps de s’adonner à du divertissement ! Il est certain que le travail est devenu une source de stress pour un grand nombre de personnes, et notamment par le nombre de tâches à effectuer, justement, en une journée.

“Le temps n’a que faire de notre emploi du temps”, rappelle Etienne Klein. Une journée compte toujours 24 heures, alors que, nous l’avons vu, les échanges s’accélèrent, et nous devons suivre le rythme au travail.

Par conséquent, nous remplissons de tâches professionnelles jusqu’à la dernière seconde de notre journée, et nous ne nous laissons aucun moment de repos ni de souffle. Nous optons même pour le multitasking, soit le fait d’effectuer plusieurs choses en même temps. Marcher en écoutant un podcast, manger en regardant un article… Elon Musk déclare même répondre à ses mails en jouant avec ses enfants !

Si nous faisions chaque tâche une à la fois, nos journées dureraient 31 heures !

Cependant, à trop remplir notre emploi du temps, profitons-nous réellement du moment présent ? Puisque le temps nous paraît aller si vite, pouvons nous encore saisir le réel, et le savourer ? Nietzsche, dans ses Opinions et Sentences mêlées, utilise la métaphore de l’escalier :

“Chez certains hommes, il y a une espèce de bonheur d’escalier, qui court trop lentement pour être toujours aux côtés du temps aux pas légers. La meilleure jouissance que procure à ces hommes un événement ou toute une période de la vie ne leur parvient que longtemps après, parfois seulement comme un faible parfum aromatisé, qui éveille nostalgie et tristesse, - comme si - à un moment ou à un autre - il avait été possible d’étancher sa soif dans cet élément, tandis que maintenant, il est trop tard”

Ainsi, avoir du temps libre, voire même, sacrilège, prendre du temps de manière volontaire, pourrait avoir quelques bénéfices.

Zélie Bourez

Rédactrice

Hugo Martinez

co-fondateur du projet résilience
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