Le discernement : la science du résilient 

Ensemble, commençons la journée et imaginons le scénario. 

Après une bonne nuit de sommeil (au moins 8 heures, à ce qu'on dit), je me lève et me dirige vers la cuisine. Il ne faudrait surtout pas rater le repas le plus important de la journée ! Qu'est-ce que je vais me préparer ? Tout d'abord, une boisson chaude, c'est un expert qui l'a dit à la radio. Un peu de pain, mais pas trop à cause du gluten, et puis des œufs. Ah non, mon ami me disait qu'ils contenaient trop de cholestérol. Dommage, j’adore ça ! Tant pis … Je vais oser me rassurer : une question de modération, il faut pouvoir concilier plaisir et santé après tout ! Continuons …

Je m'assois à table et allume la télévision. Oh, encore une publicité ! Cette fois, c'est une marque de complément qui vante son produit miracle, soit disant indispensable au quotidien. A l'appui, études scientifiques de laboratoires indépendants, ça a l'air sérieux ! Devrais-je faire confiance ? A qui vais-je me fier ? Que penser de tel ou tel avis ?

Rien que ces courts derniers paragraphes sont remplis de données à décortiquer et nuancer. Je vous laisse imaginer le tri nécessaire à l'issue d’une seule journée d’exposition à l’INFORMATION !

Si nous ne voulons pas subir les assauts permanents et les pièges de la vie moderne, mieux vaut utiliser ses capacités de discernement.

Discerner, c'est distinguer, « faire la part », ou encore « lire entre les lignes ». Aussi, c’est savoir et pouvoir se référer à des jugements de valeur (mais lesquels ?) pour se forger une opinion propre à différencier le vrai du faux. Disons plutôt le moins faux du moins vrai, car souvent, tout n’est pas noir ou blanc mais dépendant d’une situation, la vôtre. 

On pourrait parler de recours à la pensée divergente qui n’est ni plus ni moins que l'aptitude à formuler un grand nombre de réponses pour une seule question donnée, en la considérant sous plusieurs angles. C’est aussi ce qu’Edward de Bono appelait la pensée latérale : penser autrement que selon des voies linéaires ou convergentes, concevoir plusieurs réponses et non une seule. 

La pensée métaphorique/ analogique

La pensée métaphorique (qui utilise des images mentales) pourrait aussi s’avérer utile. Dans les premières étapes de l'apprentissage, le processus est vaste et métaphorique. Si une question est fermée par une réponse sous la forme d'une règle à suivre, l'apprentissage ultérieur ne peut être que analytique et déductif.

Dans les années 1940 et 1950, WJ Gordon organisa un groupe d’étude appelé Synectics. Plusieurs méthodes étaient utilisées pour aider les personnes à penser de manière analogique et pour éviter les interprétations stéréotypées. C'était en réalité une façon d'enseigner aux adultes à retrouver le style de pensée des jeunes enfants.

Plus un enfant interagit avec son environnement, et par conséquent apprend, plus il utilise les modèles familiers pour les comparer aux modèles de choses nouvelles. Les différences comme les similitudes sont ensuite analysées pour comprendre les relations. Cette comparaison de modèles est un processus consistant à faire des analogies ou des métaphores. Les similitudes perçues deviennent des généralisations, et les distinctions permettent de regrouper les choses en catégories.

Faire preuve de discernement, c’est également se méfier des signaux trop parfaits et parfois trompeurs du réel. Le discernement impose une certaine forme de patience et de sagesse contrastant avec nos esprits modernes qui confondent de toute évidence vitesse et précipitation. 

Nous devrions accepter d’avoir encore beaucoup à apprendre… Et cela n’équivaut pas à devoir approuver les premières explications séduisantes ou les raccourcis incongrus qui croisent notre chemin en quête vers la connaissance. 

Nous risquons toujours de tomber sur des idées fausses, quand bien même celles-ci nous semblent sincères ou encore réconfortantes. Voyez-vous de quoi je veux parler ? Mais si… Cette pensée qui, tel un éclair, traverse notre esprit et se mêle alors avec d’autres données latentes enfouies dans notre subconscient … Et qui, d'un coup, fait sens à nos yeux !? 

Personnellement, j’adore ce ressenti, mais force est d’observer qu’il est dépourvu d’objectivité, et sans aucun doute biaisé par de multiples facteurs. Si cet enthousiasme nous envahit inconditionnellement, nous ne sommes plus en mesure de discerner quoi que ce soit.

La rationalisation est une base dans toute démarche d’apprentissage et de partage. Il faut pouvoir établir son raisonnement à partir de faits vérifiables. C’est d’ailleurs selon cette méthode que nous avançons nos propositions dans le Projet Résilience. Toutefois, rationalisme rime-t-il avec vérité absolue ?

Zoom sur le rationalisme

Le rationalisme découle directement des croyances du paradigme positiviste. 

Selon ces croyances, la raison discursive est la seule source de connaissance. Aucune connaissance ne peut être développée en dehors de la raison. Leibniz, dans son œuvre Essais de théodicée de 1710, soutient que le monde est préétabli de manière harmonieuse, dans un ordre logique. Par conséquent, l'usage de la raison peut nous permettre de connaître chaque chose qui nous entoure : « Jamais rien n’arrive, sans qu’il n’y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c’est à dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison a priori, pourquoi cela est existant plutôt que non existant, et pourquoi cela est ainsi plutôt que de toute autre façon ».

Pour Hegel « ce qui est rationnel est effectif, et ce qui est effectif est rationnel » (Principes de la philosophie du droit).

Selon ces croyances également, la raison est immuable et identique en chaque homme. Elle est universelle et dépasse les cultures et les époques. Pour Descartes « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », et il ajoute « La puissance de bien juger et de distinguer le vrai du faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes (Descartes, le Discours de la méthode) ».

Dans ce contexte de pensée, les modes de décision et d’action rejettent toute forme d’incertitude. Les outils de mesure mathématiques et statistiques sont utilisés pour mesurer et prédire tous les domaines de connaissances. Le processus de décision est linéaire, logique et identique pour tous les individus puisqu’il suffirait de respecter la chronologie des étapes suivantes : 

1. Reconnaître la nécessité de la décision

2. Diagnostiquer le problème pour fixer un objectif

3. Identifier toutes les alternatives

4. Rechercher les informations

5. Adopter une méthode de pondération et d’évaluation des options envisagées

6. Choisir une option

Cette méthode me semble intéressante mais profondément inadaptée à la complexité du monde qui nous entoure.

Je pense que nous devrions pouvoir introduire l’intuition et le relatif dans nos réflexions et prises de décision. En revanche, je ne pense pas que l’intuition soit issue d’un don inné. Par conséquent, tout le monde ne peut pas se permettre de faire confiance à son intuition. Cependant, rien n’est figé.

Aussi contre intuitif que cela puisse paraître (excusez le jeu de mot), je suis intimement convaincu que l’intuition se travaille, autrement dit qu’elle est capable de s’améliorer. J’écrirais sans doute et avec grand plaisir un autre article sur cette notion.

Par ailleurs, je suis d’avis qu’il est impossible d’enfermer constamment la réalité dans l’ordre et la cohérence d’un système.

« La cohérence est contraire à la nature » soutient Aldous Huxley.

Après la lecture de ces derniers paragraphes, vous êtes sans doute en train de vous dire que ce n’est pas si simple de faire preuve de discernement. Que de contraintes à surmonter pour accéder à une forme de connaissance honnête… Alors à quoi bon ? En soi, l’ignorance a aussi sa part d'intérêt : elle nous dédouane.

Si je ne sais pas, je ne suis pas responsable. Quelque part, cela demande beaucoup moins de courage ou d’énergie que de faire l’effort de savoir pour rendre des actes conscients et alignés. 

Tomber dans le fatalisme et/ou l’immobilisme est courant chez les individus lessivés, bernés par tant de discours contradictoires et de concepts illusoires. Un réflexe de survie peut-être. « Stop, je suis saturé. » Je connais des personnes qui ont basculé d’une approche nutritionnelle extrême à une autre (les deux ayant le but commun de soutenir la santé) pour finalement n’accorder plus aucune attention à leur alimentation. 

S’entame alors un cercle vicieux sans fin. Lorsque nous ne possédons qu’une faible connaissance sur un domaine, nous sommes inévitablement exposés à des risques. Nous subirons les effets de notre ignorance sur le sujet en question (confiance aveugle, incapacité de critique, etc.). Et en plus de cela, il nous manquera les connaissances nécessaires pour savoir à quel point nous sommes ignorants.

Cela veut-il dire qu’il nous faut tout maîtriser ? Non. Décourageant et épuisant ! Cela veut-il dire qu’il faut soupçonner tout le monde ? Non. Cela deviendrait le meilleur moyen de se croire immunisé contre la manipulation et finalement ce serait très naïf.

Par ailleurs, le type d’éducation reçu importe sur notre capacité à discerner. Bob Altemeyer, auteur de l’ouvrage The Authoritarians (2006) a passé sa carrière à étudier la personnalité autoritaire et a identifié ses traits caractéristiques comme étant le conventionnalisme, la soumission à l'autorité et l'agression sanctionnée par les autorités. 

Altemeyer a constaté que les personnes ayant atteint un niveau élevé d'autoritarisme avaient tendance à avoir un raisonnement erroné, une pensée compartimentée, ce qui permettait d'avoir des croyances contradictoires ; ces personnes étaient dogmatiques, hypocrites et hostiles.

Dans un de ses articles disponible sur son site internet, le docteur Raymond Peat examine les effets de la culture sur la façon dont les gens apprennent et pensent. 

« La culture, semble-t-il, commence à nous rendre stupides bien avant que les problèmes métaboliques apparaissent. » Ouch.

Des études observent que les enfants attirés par des aliments malsains adoptent des attitudes fondées sur leur éducation de l’alimentation (Monnery-Patris & coll., 2016). Si vous êtes parents, vous avez sans doute expérimenté cela : le désir des enfants de manger un aliment augmente considérablement lorsque l'accès est interdit (Jansen, Mulkens & Jansen, 2007). 

Récapitulons, comment améliorer son discernement ?

Comme il y a toujours de la nouveauté dans le monde réel à mesure que les contextes changent, la fonction exploratoire nous pousse à réviser continuellement notre compréhension. En attendant de parfaire mon propre discernement, voici donc quelques axes sur lesquels je peux actuellement vous proposer de vous concentrer :

1. Être prêt à s’en donner les moyens. Discerner demande un effort. Cette capacité ne se développera pas d’elle-même.

2. Valoriser la pensée métaphorique créative.

3. Apprendre à remettre en question et bouleverser les dogmes établis. Entendons-nous bien : on ne parle pas ici de scepticisme à outrance et infondé qui suspendrait tout jugement. Toutefois, en diffusant parfois sans réserves des hypothèses, en raison d'une loyauté exagérée envers la tradition (par exemple), nous perpétuons une confiance inappropriée en une réalité déformée. 

Cette prise de conscience sceptique est une première défense essentielle contre la complaisance décisionnelle qui surgit lorsque nous sommes bercés dans un faux sentiment de sécurité par le confort persuasif de la convention et la légitimité scientifique attrayante… Mais peut-être parfois illusoire ? Cela vaut bien sûr pour notre propre personne : serons-nous prêts à accepter de soumettre nos propres processus de réflexion à des interrogations sur le sens et la légitimation des connaissances acquises et même enseignées ?

« J’espère ne pas me tromper » Espérons plutôt être toujours prêt à remettre en question notre discours ! (Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas défendre avec ardeur nos idées actuelles !)

4. Discerner ne revient pas forcément à reconnaître qui a tort ou qui a raison. C’est plutôt devenir conscient des erreurs logiques et des idées fausses implicites dans tout fondement  (philosophique, scientifique, etc.).

5. L’expérience 
Toutes évaluations (objectives et subjectives) qui sont fondées sur l'expérience permettent de proposer diverses options d'évaluation. Et ainsi, les orientations futures liées peuvent être personnalisées pour s'adapter au mieux aux contraintes spécifiques de chacun et à la situation de tout contexte. Cela nous renvoie aux principes de la pensée divergente évoquée en début d’article. « Je ne perds pas. Soit je gagne, soit j’apprends ». Pour apprendre de ses erreurs, faut-il encore comprendre pourquoi on les a commises, pour ne pas les reproduire !

« La véritable méthode de la connaissance est celle de l’expérience » rappelle William Blake

6. La sagesse, la résilience et la patience 

« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. » Marc Aurèle
« Je dois réfréner mon impatience, puisque je n’ai pu entreprendre mon long travail qu’après avoir enfin compris qu’on ne peut, en matière d’idées fondamentales, se hâter que lentement. » Edgar Morin

Hugo Martinez

co-fondateur du projet résilience
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